Monster Movie

1969

Can  

 

 

Si l’on suit la table des éléments vibrants, l’hypno-groove teuton a autant sa place au début des 70’s que le groove issu du funk ou celui de l’afrobeat kutien. Et au niveau subatomique, Can pratique une musique qui garde un étonnant et obsédant sens de la spontanéité, l’halo mélodique copulant volontiers avec la résilience funky la plus bravache. Mais en 1968, Can n’était alors que la facette rock d’un consortium aux ambitions plus larges, qui allaient marquer durablement le monde du rock et plus largement celui des musiques électroniques. Issu d’une impulsion initiale aux confins de la musique bruitiste et concrète, Holger Czukay et Irmin Schmidt ayant été des élèves du génie Karlheinz Stockhausen, Can allait faire reculer les frontières de la perception de la musique. Restait à résoudre le dilemme, à savoir faire fusionner et transcender musique classique contemporaine, évocations électroniques et influences ethniques en vue de créer un art avant tout soucieux de son caractère populaire.

 

Le profond souci de l’expérimentation sonore, de l’improvisation qu’il emprunte au free jazz, et cette science du rythme, la répétition étant portée au rang de dogme, illustre dès Father Cannot Yell cet éloignement du format pop traditionnel. Pour autant, à l’inverse de l’univers progressif, inutile de rechercher ici un quelconque étalage de technique, Can c’est tout bonnement le groupe qui peut mais qui ne veut pas. On retrouve là le fameux « restriction est mère de création ». Jaki dresse un rythme répétitif, obnubilant par essence, fondamentalement monotone et à la base même de ce qu’on n’allait pas tarder à appeler la « motorik musik ». Le dilettante Malcom Mooney, sculpteur de son état, embauché au pied levé au poste de chanteur, délivre une prestation sensuelle alors que la basse d’Holger, tout en rebonds et impulsions, marque par son obsession harmonique et rythmique. En quelque sorte, une image inouïe de la fusion entre le corps et l’esprit, l’atmosphère et le groove. Loin d’être innocent, ce morceau trahit dès l’ouverture le souhait d’être comparé au Velvet Underground ou aux Mothers of Invention.

 

En fin d’album, You Doo right est un spécimen parfait de composition spontanée basé sur de longues sessions de jam live et studio (on parle d’une dizaine d’heures). Structuré autour d’une boucle rythmique minimaliste et incantatoire, ce trip intuitif, cette séquence hypnotique de transe-rock, qui s’adresse au corps tout entier, place la troupe en orbite. Ailleurs, quelque part entre acid rock expérimental et free jazz, sur des sentiers qui ne sont pas sans rappeler les délires des Mothers sur la seconde face de Freak Out !, le côté psychédélique en moins prononcé. Mooney, qui s’improvise crooner, se pose harmonieusement sur le martèlement tribal et métronomique de Leibezeit ; sa voix instable et peu juste est pour ainsi dire très sexuelle. Entre les deux morceaux, la poignante ballade Mary, Mary So Contrary  laisse entrevoir le talent de Mooney qui décidément s’adapte à tout les terrains, et Outside My Door, proto-punk énervé qui nous transporte avec son harmonica virevoltant, dans un far-west aux élans stoogiens.

 

Dès son premier album Can se place se démarque très largement du reste de la scène rassemblée sous la bannière du krautrock en atteignant des cimes que d’autres n’auraient même pas imaginé en rêve. Et quand on sait qu’il ira encore plus loin sur les suivants…

 

 

Farther Cannot Yell

Mary, Mary So Contrary

Outside My Door

Yoo Doo Right